Byungchae Ryan Son

L'« corps » à l'ère de l'IA : comment se souvenir ?

Création: 2024-05-20

Création: 2024-05-20 15:58

Selon un article récent du journal d'actualité Web Slate, Quora, qui était autrefois un site de questions-réponses populaire dans le monde entier, serait en difficulté. Autrefois, le site comptait 190 millions de visiteurs uniques par mois et attirait des personnalités comme l'ancien président américain Barack Obama et l'acteur Ashton Kutcher, qui fournissaient des réponses honnêtes et détaillées, valorisant ainsi la qualité des questions et bénéficiant d'une grande confiance et fidélité de la part des utilisateurs. Cependant, l'émergence récente de l'IA a entraîné un exode massif d'utilisateurs clés, selon l'article.

L'« corps » à l'ère de l'IA : comment se souvenir ?


Quora exigeait la mention du nom réel dans le profil lors de l'inscription, ce qui lui a permis de proposer une structure de valeur claire : des questions posées par des personnes et des réponses de qualité fournies par des experts. Cependant, depuis que la plateforme a commencé à investir dans des plateformes de chat IA et à modifier ses conditions d'utilisation pour pouvoir utiliser les réponses des utilisateurs pour entraîner ses modèles d'IA, les utilisateurs se montrent de plus en plus sceptiques. On craint que Quora ne devienne bientôt une ville fantôme où seuls des chatbots IA seront actifs, tant l'identité de la communauté est en train d'être remplacée par l'IA.


L'idée de restructurer l'ensemble du processus de questions-réponses au sein des communautés numériques à l'aide de l'IA semble légitime. Nous utilisons déjà activement ChatGPT pour la traduction, le codage, la rédaction, etc., et il n'est pas difficile de constater que cela repose sur la confiance en la capacité de l'IA à fournir des réponses justes. Cependant, il est important de prendre conscience qu'une certaine appréhension, difficile à cerner, existe entre la structure de valeur offerte par les échanges de questions-réponses entre humains et la nouvelle structure de valeur que représentent les interactions entre humains et IA. Le fait que des experts réputés de Quora suppriment leurs contributions et quittent le site confirme cette appréhension, il est donc important de se poser des questions sur cette subtile nuance.


Le sociologue danois Charlie Strong, dans son étude sur « les smartphones et l'avenir de la mémoire », souligne que les nouveaux outils technologiques ne se limitent pas à être utilisés et possédés, mais qu'ils peuvent aussi nous permettre de redéfinir notre identité et nos capacités. Son étude s'inspire de la « théorie de l'esprit étendu » d'Andy Clark et David Chalmers, selon laquelle le smartphone est devenu un élément essentiel de notre capacité à nous souvenir, au même titre que notre cerveau.

L'« corps » à l'ère de l'IA : comment se souvenir ?

L'écriture est fondamentalement une technique qui joue un rôle important dans la transformation ou le renforcement de notre mémoire biologique. Aujourd'hui, grâce aux smartphones, nous pouvons enrichir l'écriture avec des photos, des enregistrements audio numériques et des vidéos. Cela signifie que nous avons mis en place un système de connaissances et de mémoire qui diffère considérablement de l'utilisation de nos capacités biologiques, c'est-à-dire de notre cerveau. L'émission de téléréalité « Coup de foudre » très populaire ces dernières années propose un espace appelé « X-Room » rempli d'éléments rappelant les souvenirs des ex-partenaires. On y trouve des objets de couples, des lettres, mais aussi des vidéos de voyages, d'anniversaires et de rendez-vous capturés par smartphone, ainsi que des captures d'écran de conversations KakaoTalk.


Au cours des 20 dernières années, l'introduction et l'amélioration des smartphones nous ont permis d'enregistrer et d'accéder à une multitude de supports de mémoire quasi illimités. Ce système de mémoire lié aux smartphones limite notre capacité à nous souvenir de manière traditionnelle et nous permet de nous souvenir de différentes manières, par le biais du cloud, d'Instagram, etc., ce qui crée une confusion sans précédent. J'ai souvent eu l'occasion de discuter avec des participants à des études qui, malgré l'utilisation de smartphones dotés d'une capacité de stockage de plus de 100 Go, se plaignent constamment de manquer d'espace de stockage car ils ne parviennent pas à organiser leurs photos.


Les utilisateurs de smartphones préfèrent organiser leurs informations par le biais d'applications plutôt que du Web, ce qui entraîne une dispersion des données de mémoire et une augmentation exponentielle des difficultés d'organisation avec le temps. De plus, la possibilité de prendre des photos, de faire des captures d'écran et de sauvegarder des informations en permanence nous permet d'enregistrer un grand nombre d'expériences, mais ce flux incessant d'enregistrements peut aussi rendre la mémoire plus complexe et difficile à gérer. En d'autres termes, comme le montrent les études sur les smartphones et la mémoire, il est important de prendre en compte le fait que le progrès technologique peut créer de nouveaux défis quotidiens et intrinsèques liés à la technologie, et pas seulement une simple extension des fonctionnalités.


Dans ce contexte, il peut être utile de poser des questions philosophiques et ambiguës centrées sur l'humain, plutôt que des questions axées sur la technologie, telles que « comment les nouvelles technologies vont-elles faire évoluer les archives et la mémoire ?». « Que devons-nous enregistrer et comment devons-nous nous souvenir ? » C'est peut-être la question que Quora aurait dû se poser avant de décider d'investir dans et d'adopter l'IA, une question qui lui avait valu de conquérir le Web par le passé.



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